News

Jean-Baptiste Robin

Once Upon a Time... At the Walt Disney Concert Hall

Depuis les États-Unis,  interprète et improvise sur l’un des orgues les plus originaux de ce début de XXIᵉ siècle, et nous offre un panorama complet des diverses facultés de cet instrument unique.

Lillian Disney, veuve du célèbre cinéaste fit un don en mémoire de l’intérêt qu’avait porté son mari toute sa vie pour les arts et la musique : 50 millions de dollars pour la construction d’une grande salle de concert à Los Angeles qui serait entre autres la maison de l’orchestre philharmonique de cette ville. Comme il est de tradition, la construction d’un grand orgue de concert fut envisagé pour répondre aux exigences d’une telle salle, en harmonie avec un grand orchestre. Un concours fut lancé et pas moins de quarante-cinq projets virent le jour sur une période de trente mois. Le projet de Manuel Rosales emporta le marché et c’est son collègue allemand Caspar Glatter-Götz qui construisit l’instrument. Le design était des plus audacieux et engendra une vague d’étonnement, voire de critiques acerbes, parlant d’aspect en « cornet de frites ». Pour autant le buffet s’inspire des bouquets lumineux des feux d’artifice, faisant preuve d’une audace unique au monde, notamment par ses grands tuyaux incurvés, en bois, de taille impressionnante (32 pieds).

Au-delà de son esthétique, on s’attardera sur quelques caractéristiques acoustiques et musicales, qui sur le papier paraissent déjà gigantesques : quatre claviers et pédalier pour un total de soixante-quatorze jeux réels plus de nombreuses extensions, trois boites expressives et toutes les commodités électroniques modernes en ce qui concerne la mise en mémoire des registrations (combinateur). On note la présence de deux consoles dont une mobile pour s’adapter aux exigences des mises en forme des plateaux lors de concerts avec d’autres musiciens. A la toute fin l’orgue fut harmonisé par Manuel Rosales.

 débute par une improvisation sur un thème du Casse-noisette de Tchaïkovski qui d’emblée affiche le côté très orchestral de cet instrument agrémenté de mille couleurs. Cela se confirme avec plusieurs transcriptions d’œuvres pour grand orchestre : Cendrillon de Massenet tout en subtilités et contrastes créés par l’usage des boites expressives qui modulent à souhait l’intensité du son des divers plans de l’instrument. Le Clair de lune de Debussy, extrait de la Suite bergamasque fait la part belle aux flûtes et aux jeux ondulants.

Ma mère l’Oye de , au travers de ses cinq mouvements, montre les talents d’orchestration à l’orgue de Jean-Baptiste Robin qui les interprète avec beaucoup de subtilités et de reliefs. Il y a là tout un art du climat et de la couleur qui font que ces pages semblent écrites pour l’orgue, apte à servir cette composition, aussi bien que l’orchestre symphonique.

Le récital comporte également des pièces du répertoire dont une ébouriffante Esquisse n° 2 de . On sait l’attirance qu’avait ce compositeur pour ce type de modèles américains, offrant une multitude de possibilités, avec tous les horizons nouveaux que lui ouvrait ce type d’instrument, machine de tous les possibles. Chopin avec son Prélude n° 15 semble mystérieux et déchirant de romantisme, les effets de crescendo, puis de decrescendo rendent cette transcription des plus émouvantes. La Suite op. 5 de  offre une pièce maîtresse du répertoire, ici présentée dans toute sa dimension. Tout comme Dupré,  fut séduit par ces monstres outre-atlantique et il n’est finalement pas si étonnant de constater combien sa musique est en adéquation avec ces esthétiques assez différentes de nos orgues français. Jean-Baptiste Robin se montre ici hautement inspiré : le climat peu à peu envahissant du Prélude, jusqu’à une accalmie qui amène le sublime deuxième thème comme savait si bien l’exprimer Duruflé, fait place à une Sicilienne assez simple dans sa forme, qui se veut charmeuse et rassurante. La Toccata elle, éblouissante et d’une grande difficulté d’exécution, se déploie de manière magistrale sous les doigts et les pieds infaillibles de l’organiste. Cette pièce, qui termine cette suite pour orgue se développe à l’instar d’un feu d’artifice jusqu’au bouquet final explosif sur cet instrument monumental qui permet même d’entendre une note gravissima d’une anche très rare de 64 pieds sur l’accord final !

Ce disque tout empli de rêves, intitulé « Il était une fois », s’achève avec une œuvre de Jean-Baptiste Robin, déjà connu et reconnu comme un compositeur important de notre temps. Dans ce contexte de conte de fées « alla Disney », la pièce Hands of time termine avec élégance et brio ce récital. Commande de la Guilde américaine des organistes en 2018, cette œuvre puise son inspiration dans les mouvements d’horloge, thème cher au compositeur. Un jeu de cloches intégré à l’orgue se fait entendre… Il s’agit d’une vision du temps qui côtoie par moment l’irréel, tel que Disney sut si bien l’exprimer dans ses films, du fantastique au merveilleux.